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THIERRY ALET

W +590 690 18 53 48 - E office.fius@gmail.com

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ATTENTION : Version BETA - Texte pas terminé - Ne pas diffuser

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Manifeste pour un code couleur, Thierry Alet

Le concept

À la commande, le caractère exceptionnel voir historique que l’œuvre devait avoir m’est d’emblée apparu. Il ne s’agissait pas de faire une nouvelle peinture tirée des séries sur lesquelles j’ai travaillé  depuis ma sortie de l’école d’art.  Je ne voulais pas m’attarder sur le passé ni pleurer sur la misère noire. Je me suis souvenu des discussions avec Maryse Condé sur la qualité des œuvres personnelles et universelles à la fois. Où l’on trouve dans le récit de  l’anecdote l’essence universelle de notre drame. Il fallait une invitation populaire plutôt qu’une invective consensuelle. Elle devait être comme ma fille : magnifique, joyeuse, mystérieuse et pleine de promesses. Elle devait surgir dans la salle ; immédiate, comme soufflée d’une sarbacane…

 

Ce manifeste accompagne l’œuvre d’art qui s’en trouve démultipliée. Le code couleurs dépasse les frontières de l’œuvre. Ce concept est exposé pour la première fois dans le cadre de l’inauguration du Mémorial Acte.

 

Conceptuellement, je voulais d’abord que cette œuvre s’érige en réponse au code noir. Au noir associé depuis des siècles à l’esclavage, à la servitude, à la misère, à la paresse, aux ténèbres, la couleur se pose en principe émancipateur, libérateur. Le code couleurs transforme ainsi symboliquement, toutes les acceptions péjoratives de l’homme et de la femme noirs en une proposition plus juste, joyeuse, ouverte sur le monde, pleine de promesses et incroyablement riche de sens. Le code, outil sociétal, ne se lit plus comme un principe uniquement répressif, mais plutôt comme le catalyseur d’une loi s’appliquant à l’oppresseur et à l’opprimé, contraints l’un et l’autre de dialoguer au même niveau.

En tant qu’artiste guadeloupéen, héritier de cette histoire post-esclavagiste, je réponds donc avec aplomb au code noir par un code couleurs ! Cette idée primaire, presque instinctive est portée par des convictions fortes : il y a plus dans le tout que l’ensemble des parties, une intuition forte vaux mieux que des pages de théorie bien ficelées et la beauté, enfin, est la plus insolente des réponses.

 

En soi, le code couleurs se conçoit à l’image du code morse international, ce codage sonore qui associe à chaque lettre, chiffre ou ponctuation un son ou une combinaison de sons distinct. S’inspirant de ce mode de communication, le code couleurs adosse à chaque lettre une couleur distincte. Recréant ainsi un alphabet de couleurs. Les combinaisons de couleurs forment des mots, des phrases intelligibles pour qui aura mémorisé ce code.

 

Cette idée élémentaire n’a jamais à ma connaissance, été appliquée. Certes, il y a eu des expériences et des recherches qui s’en sont approchées, à l’instar des vignettes de couleur dans le milieu pharmaceutique, bien que n’étant pas adossées à un alphabet. Dans la poésie, j’ai relevé avec Voyelles de Rimbaud une démarche remarquable, car le poète se prend au jeu d’une création sensorielle dans laquelle chaque voyelle convoque une couleur ou plus précisément renvoie à une atmosphère chromatique. Dans cette approche artistique, l’arbitraire a décidé, puis figé le temps d’un poème, un code qui rend signifiantes les voyelles. Cependant, Rimbaud n’a pas l’intention de créer un code, d’aller au bout de cette approche perspicace en créant un système de signifiés, c’est-à-dire un concept. J’ai suivi de près  d’autres artistes plasticiens, dont les œuvres ou travaux sur les couleurs m’ont passionné. Le peintre russe, Vassily Kandisky s’interroge sur la possibilité que forme et couleur soient liées dans le but de faire résonner les dispositions de l’âme. Quant au Britannique Damien Hirst, ses séries de pastilles colorées intitulées « The spot paintings », matérialisées avec beaucoup plus de légèreté, lui valent une notoriété mondiale dès les années 1980. Je pense également aux travaux de l’historien de l’art, John Cage, qui portent sur cette notion de langage de la couleur et à la figuration omniprésente de la couleur dans les créations de Gerhard Richter.

En ce qui concerne le principe même du code, c’est l’artiste ivoirien Frédéric Bruly-Brouabré qui l’illustre le mieux, avec sa création de l’alphabet bété à partir de dessins et signes. L’alphabet latin ne permettant pas de sauvegarder et transcrire certaines langues africaines, l’artiste s’est donc ancré dans son espace géographique pour inventer un syllabaire qui selon lui, serait mieux adapté aux populations africaines, car traduisant avec plus d’exactitude leur réalité.

 

La méthode

Le code a été créé sur ordinateur, outil qui me permet de travailler avec plus d’aisance à partir d’une vaste palette de couleurs disponibles. Pour la création du code couleurs sur un support papier, il aurait fallu que je dispose à tous moments d’une multitude de crayons de couleur, accompagnés d’un nuancier, tandis que sur l’ordinateur, cette accessibilité est bien plus aisée. Quant à l’aspect de mémorisation, il me semble que l’apprentissage de lecture serait rendu fluide. Il me semble plus  naturel d’assimiler une couleur à une lettre de l’alphabet plutôt qu’une graphie à une lettre. Je consignerai donc toutes les couleurs utilisées et attribuerai à chacune, un code afin qu’elles soient immédiatement lisibles. Etant donné que nous sommes en pleine révolution numérique, il n’est pas interdit d’imaginer que demain les claviers des ordinateurs seront équipés de touches de couleurs et ainsi, transformeront profondément notre mode de communication.

 

Le traumatisme de l’écriture

Le code couleurs ne revêt pas encore la fonction d’un alphabet, puisqu’il est adossé à un ensemble de combinaisons signifiantes, à l’instar du code morse basé des combinaisons de sons. Le code couleurs suit précisément ce schéma car fondé sur l’alphabet latin. Or l’alphabet est le fruit d’une décision arbitraire en vertu de laquelle des lettres et des sons, tels que la lettre a pour {a} ou j pour le son {ʒ} en alphabet phonétique international, sont associés. C’est une invention que cette relation entre les lettres et les sons. La lettre a aurait très bien pu se rapporter au son {ʒ}.

 

Partant de ce constat, je mesure la difficulté que représente l’apprentissage de l’alphabet, en l’espace de quelques mois, pour un enfant dépourvu d’aucun autre socle de références. Cela même qui constitue à mon sens un traumatisme. L’apprentissage de la lecture et l’écriture ne va pas de soi, lorsque l’on sait la myriade d’étapes qui composent ce processus. Pour établir un parallèle, on peut penser à la gymnastique cérébrale complexe qu’il faut à un adulte pour apprendre le code morse alors même qu’il suffit d’établir des correspondances entre les sons et l’alphabet ! Or,  on n’impose pas seulement à l’enfant l’assimilation de ces règles arbitraires, mais on exige de lui qu’il le fasse selon une temporalité elle aussi pré-déterminée. S’il ne s’y plie pas, il peut s’en trouver sanctionné. Ceci m’interroge sur le caractère initiatique de ce parcours. Je dresse un parallèle avec certaines sociétés dites tribales où les rites initiatiques marquent une étape incontournable dans la vie de jeunes gens, notamment en ce qui concerne leur intégration dans la communauté. En parallèle, nos sociétés dites modernes me semblent particulièrement cruelles puisque, survenu dès l’enfance, le défaut d’alphabétisation mettra en échec l’épanouissement de bons nombres d’individus.

 

Le traumatisme se vit également comme une perte d’innocence par rapport au monde sensible. L’apprentissage d’une langue étrangère révèle bien cette problématique, puisqu’elle se réfère à la langue d’origine. Les prémisses se basent donc sur une forme de traduction littérale du sujet apprenant avant qu’il ne puisse utiliser avec aisance des expressions habitant la langue. Aussi, le code couleurs, adossé au français, s’appréhenderait en premier lieu par cette forme de traduction, puis dans un second temps, deviendrait un alphabet à part entière avec une existence autonome. Ceci constituerait en soi, une forme d’émancipation de l’alphabet latin.

La proposition artistique de ce code couleurs réside de fait dans cette aspiration à s’affranchir de l’alphabet latin afin d’envisager d’autres modes de communication. Il s’agit là d’une forme de dissidence et de résistance par laquelle il devient possible de se réinventer. Simon N’Jami en parle en ces termes : Une dogme nouveau.

 

Oralité et écriture

L’ensemble des rapports, des échanges de communication sont régis par l’oralité. Je distingue les sociétés de l’oralité où l’écriture est absente, de celles de l’écriture qui communiquent par ces deux modes.

L’écriture à mon sens, est investie d’une dimension arbitraire pesante. A ce titre, le cas de l’écriture chinoise me frappe. Elle arbore une complexité encore plus dense étant donné que les idéogrammes sont adossés à des symboles de la nature, de l’existant. L’écriture existe à part entière sans être asservie à des sons ou à la langue orale. Cette écriture sert des langues orales différentes. Les mêmes signes peuvent être lus de façon différente. S’agit-il de différentes langues pour autant ? En comparaison, les formes écrite et orale de l’alphabet latin me semblent complètement arbitraires.
 

En Guadeloupe, deux langues majeures coexistent : la langue française et la langue créole. L’une est parlée et écrite, l’autre est avant tout une langue de tradition orale. Depuis plusieurs années, j’observe une volonté de plus en plus affirmée d’écrire le créole. Cette posture fait consensus dans la société, or ce consensus n’est basé sur rien. En effet, ni les aspects positifs, ni les impacts négatifs ne sont débattus ou démontrés. Le seul argument brandi à ce jour, tient dans la nécessité de sauver le créole, comme si cette langue était en danger ou en voie d’extinction. Cela n’a pas de sens. Le créole ne peut être en danger de son oralité, puisqu’en tant que langue vernaculaire, il est parlé spontanément par une large part de la population guadeloupéenne, qui ne l’a pas appris à l’école, mais dans les foyers, dans les quartiers, dans les campagnes, sur le lieu de travail, dans le bus ou dans la cour de récréation. A contrario, le latin représente une langue certes écrite, mais morte. Autrement dit, les défenseurs du créole écrit ne peuvent prétendre que l’écrire le sauvera d’une disparition certaine. La pertinence de cet argument, reste à débattre selon moi. On peut laisser le créole vivre sa propre oralité.

De plus, il me semble que la société orale n’aborde pas le monde sensible de la même façon que la société écrite. Le rapport au monde, à la succession, à l’héritage et à la transmission différent sensiblement. Cela m’a particulièrement frappé au regard de la commande du Mémorial ACTe où il m’a fallu travailler sur la langue caraïbe, langue essentiellement orale. Je n’ai jamais trouvé au cours de mes recherches de textes complets en langue Caraïbe. Les seuls qui pourraient se rapprocher de textes aboutis sont les retranscriptions de prières chrétiennes Notre père, et Je vous salue Marie.

C’est en cela que la richesse de ces deux langues qui coexistent dans notre société m’apparaît avec encore plus d’évidence. Deux visions du monde sont proposées, de même que l’on possédera deux outils distincts pour appréhender notre identité au-delà de notre rapport au monde. Si l’on en vient à une systématisation de l’écrit du créole, je crains que cette combinaison extrêmement précieuse ne s’affadisse et s’appauvrisse. Les gestes, les signes, les intonations, font partie de la communication orale, or lorsque la langue tend à devenir écrite, le lien social s’estompe au profit de ces médiums et nouveaux outils technologiques de communication que sont les sms, mails, Facebook, qui ont phagocyté les moyens directs de communiquer et créé une forme de vacuité, un sentiment d’absence en même temps qu’ils se généralisent.

Paradoxalement ou signe d’évolution sociétale, on voit aussi apparaître, un usage de plus en plus répandu chez les jeunes gens de messages vocaux, notamment de ces outils qui tendent à faire subsister l’oralité malgré tout, dans un jeu d’équilibriste. Le créole est riche de son oralité, son écriture pourrait donc constituer un danger d’extinction et non assurer sa survie.

 

Le créole outil de diffusion/ outil de division

 

Lorsque j’étais au collège, un professeur nous avait interpellé sur un pan de mur dans la rue avec l’inscription fwansé déwo. Ce message en créole ne s’adressait donc pas directement aux Français non locuteurs du créole, mais indirectement aux Guadeloupéens. En réalité, puisqu’en créole, les destinataires du message s’avéraient donc être des locuteurs créoles chargés de véhiculer ce message. Il y a donc ici, un usage du créole qui me semblait déjà il y a plus de 20 ans, pervers. Récemment, en écoutant une émission de radio, il m’a semblé symptomatique que l’animateur pose des questions en français alors que l’invité répondait en créole comme s’il y avait là un acte subversif. Autre exemple, toujours dans les médias, le représentant de l’UGTG Elie Domota commence une interview en français, puis se met à parler en créole, ce qui m’interroge sur une volonté non dissimulée de scinder la population en deux groupes. Cet usage du créole divise plutôt qu’il ne rassemble.

 

Il me semble que la langue ne doit pas être instrumentalisée, puisqu’elle est riche. L’un des postulats que l’on retrouve dans de nombreuses sphères de la société veut que le créole soit la langue unificatrice de Guadeloupe. N’y a t-il pas d’autres paradigmes constitutifs de la société guadeloupéenne qui, de la même façon, font l’unanimité ou presque, mais dont l’usage particulier en font en réalité des vecteurs de division pernicieux ? A mes yeux, le créole sert de refuge dans lequel se niche une perception virginale de la Guadeloupe qui peut se révéler dangereuse, dès lors qu’elle ne souffre aucun questionnement, ni aucune critique de peur qu’elle soit infectée. Il existe précisément là des soubassements forts de la société guadeloupéenne qui demeurent tabous au regard de leur raison d’être, de leurs origines, de leurs évolutions, de leurs usages tels des mythes fondateurs. D’autres piliers sacralisés de la société guadeloupéenne peuvent également être interrogés tels que le gwo ka, la femme poto mitan, la mulâtresse solitude… Ces éléments font-ils partie de la culture en mouvement ou de la coutume telle que le pose Maryse Condé ou Frantz Fanon par exemple ?  Je cite : « Après 100 ans de domination, la culture est cristallisée ». Sont-ils des signes d’enrichissement ou de régression sociale ? Il y a danger à confondre ces éléments. Ces symboles conçus à l’origine comme des pansements sont érigés aux rangs de modèles. En ayant le courage de s’interroger sur ces symboles, il est possible de mettre à jour le mécanisme des usages qui en sont faits et de comprendre leur place et leur rôle.

 

Blood ou la mémoire extra cérébrale

 

La création de ce code couleurs a suscité chez moi, beaucoup de réflexions parmi lesquelles l’opportunité d’approfondir des idées latentes. La sculpture Blood que j’ai réalisée à l’occasion de l’année de l’Outre-Mer en 2011, a été exposée au Jardin du Luxembourg à Paris. En tant qu’artiste Guadeloupéen, ultra-marin, je voulais que ma production ait du sens. Les premiers vers du poème « Rappel » paru dans le recueil Pigments de Léon Gontran Damas m’ont particulièrement inspiré. «  Il est des choses dont j’ai pu n’avoir pas perdu tout souvenir. » Ce qui me frappe dans ce vers, c’est la reconstruction active par palier du cheminement de la mémoire. Sa mémoire est convoquée dans un processus dynamique où il admet concomitamment à une amnésie provoquée ou biologique, de possibles réminiscences. Cette citation que je ne savais expliquée, continuait pourtant de résonner en moi, en trouvant un écho notamment dans ma pratique scripturale. Cette mémoire paraît transcendée le poète. De la même façon, j’ai la conviction dans ma recherche artistique, devoir retrouvée cette mémoire qui si elle n’est pas ancrée en moi, flotte ailleurs. Un autre passage du poème « Si souvent » de Damas m’habite.

«  Rien ne saurait autant calmer ma haine qu’une belle mare de sang faite de ces coutelas tranchants qui mettent à nu les mornes à Rome ».

Cette image, je l’ai toujours trouvée extrêmement précise et juste dans le rapport dominant/dominé ou dans celui du crime et du châtiment. Mon travail autour de l’écriture se préoccupe de graver les mots dans la matière atemporelle, ce que l’oralité ne peut faire. L’ensemble de ces réflexions m’a donc amené à créer cette pièce Blood en rouge, dans le Jardin du Luxembourg comme manière de convoquer notre mémoire intuitive, celle transmise par le sang, par le sang de nos ancêtres.

 

En parallèle, le code couleurs fait appel à nos facultés cérébrales, nécessitant un effort de mémorisation. Ce processus assimilable à un rite nous invitera à réapprendre un alphabet, repenser l’écriture et la lecture en guise de renaissance. Cet aspect du code couleurs m’a particulièrement intéressé, car s’il est crée pour la Guadeloupe dans le cadre de cette commande du Mémorial ACTe, ma contribution artistique a vocation à offrir une nouvelle représentation du monde qui transcende symboliquement, ce passage enfin surmonté du traumatisme de l’écriture que peut engendrer l’apprentissage de l’alphabet latin.

 

La langue Caraïbe n’existe pas

La commande de l’œuvre comporte un volet sur la langue Caraïbe. Mon travail s’étant toujours attaché au texte, il m’a été difficile de trouver des textes en langue Caraïbe. Cette langue que l’on m’a proposée d’explorer, est demeurée orale. L’écriture de la langue Caraïbe à laquelle s’est essayée Raymond Breton à travers son dictionnaire, a montré ses limites. L’écriture d’une langue suppose à mon sens qu’un groupe de personnes s’accorde sur un ensemble de codes. Les seuls textes que j’ai trouvés font office de transcription. Il ne peut s’agir de la langue Caraïbe en tant que telle, qui s’est transformé et effritée malgré quelques bribes parlées à la Dominique, en Amérique du Sud. Les conditions de disparition de cette langue questionnent la pertinence des recherches en profondeur de nos racines, puisqu’à mon sens, nous sommes condamnés à être un peuple neuf. Des racines ont été coupées de façon définitive. Le créole en est une illustration, puisqu’il est né dans les Amériques. Il me semble vain de se raccrocher à quelque chose qui a disparu. Cette commande m’a donc amener vers une réflexion sur le sens de cette disparition pour la société guadeloupéenne. Cela s’est matérialisé artistiquement par la création de ce code couleurs devant servir à mieux appréhender notre rapport au monde sensible. Il s’agit là d’ailleurs du rôle 1er des artistes ; donner à voir ou percevoir notre singularité, notre espace de vie, notre société, notre environnement, notre planète autrement.

La manifestation du créole né de la mort de la  langue Caraïbe est la preuve cinglante : la colonisation de la Caraïbes par les européens a été un crime parfait. Un génocide parfait.

 

La voleuse d’enfant

L’œuvre a un caractère évanescent. C’est à la fois une œuvre et un outil qui pourra être utilisé. Une fois le code en place, il a fallu que      je réfléchisse à une application. Quel texte choisir ? J’ai toujours été intéressé par le rôle ambivalent de la religion chrétienne dans la traite négrière transatlantique, et son omniprésence actuelle dans certaines parties du continent africain ou en Guadeloupe. De fait, j’avais envie de travailler sur un texte religieux. Il m’a alors été recommandé de me pencher sur l’ouvrage de Raymond Breton qui contenait la transcription du Notre père. Mais bien que l’ayant cherché, je n’ai pu trouver que la prière dédiée à la vierge Marie, le Je vous salue Marie. A ce stade, j’ai tenté de recréer le texte Notre père, à partir du dit dictionnaire de Raymond Breton. Mais mon entreprise a échoué pour la simple raison que les mots qui constituent la prière Notre père ne sont pas traduits en langue Caraïbe. A l’évidence, aucune proposition n’a été faite pour certains mots à l’instar de l’adjectif possessif notre.

Simultanément à ces recherches, je vivais un drame personnel, l’échec de ma relation avec la mère de ma fille. Très vite il m’est apparu que la fréquence exponentielle de cas similaire au mien était symptomatique d’un mal plus grand. Chaque histoire est unique mais toute converge vers le même drame : l’impossibilité des familles. L’homme ne peut plus exercer sa fonction première de père qui est de protéger. Dans mon cas mon enfant m’a été enlevée à la naissance par l’entremise de la grand-mère qui la garde séquestrée jusqu’à ce jour. D’autres hommes sont accusés de violence, d’infidélité, de pédophilie, de pauvreté même avec comme seul choix que de perdre de l’argent et du temps à se défendre. Les accusatrices elles sont si rarement inquiétées que l’impunité complète s’est installée et a engourdi l’avocat de la défense.

 

Il existe des forces en concurrence dans notre société postcoloniale. L’un des héritages est l’omniprésence de la vierge Marie. Dans une société ou le pansement devient le modèle je propose de mettre en cause l’immaculé conception pour isoler l’un de l’autre. Dès lors, je vois en Marie une femme qui enlève l’enfant à son père et lui choisit un beau-père crédule : Joseph. Un parallèle peut être établi avec beaucoup de mères antillaises qui opèrent une ablation complète ou partielle du père, s’octroie la toute puissance et sur l’enfant et un beau-père qu’elle choisit et contrôle. En conséquence, le père n’est pas là et le beau père n’est pas le père. Aucune mère ne peut être père et mère à la fois. Les enfants sont orphelins, volés en définitive. Un Bumidom* sans déplacement. Cette attaque contre les familles ? Ne date t-elle pas de l’esclavage ? Ils ont volés les enfants en Afrique. Ils continuent aujourd’hui. Le corps des femmes en est l’outil complice, elles sont des victimes qui se pensent actrices.

Le crime est parfait.

* Créé en 1963, Le BUreau pour le développement des MIgrations dans les Départements d'Outre-Mer fut un organisme public français officiellement en charge, jusqu’à sa dissolution en 1981 de l’accompagnement à la mobilité des travailleurs ultra-marin vers la métropole. Responsable du départ de plus de 70 000 ultra-marins, le Bumidom, sous couvert d’aide à l’émigration, organise une migration de peuplement de territoires métropolitains en desertification.

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